C'est
elle qui a enclenché toute l'aventure de l'expo au Red turtle cet
hiver 2017.
Elle
m'a été inspirée par un rêve où je voyais un pauv' mec chétif, mal en point et je demandais à mon amie onirique,
Charline : une magnifique prostituée aux formes généreuses et
toute de rouge vêtue, de s'occuper de lui, peuchère. Inspiration
renforcée par un épisode qui s'est déroulé lors de ma première
visite au Red turtle. C'était une soirée complètement improbable.
Je ne sais pas ce qui m'a poussée à accepter d'aller avec mon amie
N. dans ce bar, alors qu'elle était accompagnée de son
indéboulonnable ex, que j'ai toujours pris soin d'éviter.
Curieusement, c'est même lui qui est venu me prendre à la maison !
Et quand il me parlait de lui, avec sa mauvaise foi et ses
fanfaronnades habituelles, au lieu de m'énerver, il m'a fait de la
peine. C'était le prototype du mec mal en point de mon rêve. Et N.,
elle, c'était cette brave Charline, bienveillante et généreuse,
qui me dit avec tristesse ce soir-là : « Qu'est-ce que tu
veux, je ne peux pas l'abandonner comme ça, c'est quand-même le
père de mon fils ». (Par la suite, elle s'est débarrassée de
cet accès de bonne conscience
moralisante et maternante.).
Ici
je voudrais aborder le sens de cette image de femme. Dans un premier
temps, je ne percevais que son aspect bienveillant et revigorant de
la féminité vis à vis de la masculinité. J'avais dit à une amie,
une autre dont le compagnon n'était pas tout à fait frais :
« Tu verras, ma Charline va lui faire du bien ! ».
Et si ça se trouve ça l'a fait, va savoir... Et puis le soir du
vernissage, une autre amie m'explique que pour elle, cette femme
plantureuse était en train d'étouffer ce pauv' mec tout maigrichon,
et même qu'elle pensait qu'il était mort vu sa couleur maladive !
Elle
avait raison. Je n'avais pas vu jusque là, cet autre aspect de cette
figure féminine, somme toute maternelle. Le revers de la médaille,
qui ne peut pas avoir qu'un avers, c'est obligé. Le côté mère,
celui où la femme regarde l'homme avec un amour dévoué et
condescendant. Elle le protège, veut l'aider, même s'il n'a rien
demandé, elle veut le sauver malgré lui. Alors les voilà empêtrés
tous les 2 dans un jeu infantilisant où l'homme est ramené à un
statut d'enfant et la femme à celui de mère. Cela donne un
formidable pouvoir à la femme, mais elle étouffe l'homme, ne lui
reconnaît pas sa virilité et se prive par la même occasion d'un
rapport d'égal à égal. Tout cela bien-sûr reste inconscient d'un côté comme de l'autre.
Ben
oui nous sommes comme ça aussi, mesdames. Avec nos fils, avec nos
compagnons. Ce qui nous sauve, ou nous sauverait, c'est d'être, de
se souvenir que nous sommes des Charlines, des prostituées, des
prostituées sacrées, et pas des Madones ! Ou pas que. En fait
un mix des 2. Tout est dans le dosage. Ne pas oublier Charline,
l'initiatrice. Celle qui va faire de lui un homme, selon la tradition
romanesque.
Pour
en revenir à l'histoire de cette peinture, et de l'expo du
même coup. Ce soir-là on m'avait promis du jazz ou du blues,
enfin de la musique cool. En fait on a eu du rock, et du pur et dur.
Et fort ! On ne pouvait pas se parler (c'était peut-être
mieux...). Alors j'ai siroté mon verre en regardant autour de moi,
et je me suis dit : « Je veux exposer ici, j'accrocherais
des couleurs et des étincelles sur ces murs sombres ».
Le
lendemain je me suis tout de suite mise au travail et il en est né
« la grande Charline ».
Je
me suis ensuite pointée au Red turtle dès l'ouverture. Je fais part
de mon projet à Ali, le patron. Sa première question fut :
« C'est quel style? ». Voyant ma perplexité, il a
précisé : « Abstrait ? Figuratif ? ».
Moi « heu, disons, figuratif onirique... ? ».
J'avais
juste peint ce tableau-ci, je l'avais pris en photo sur un petit
appareil numérique tout ce qu'il y a de plus basique.
Je
voulais aussi que mes Madones (5 statuettes) fassent partie de
l'exposition. Mais Ali n'était pas d'accord. J'ai (un peu) insisté : "Allez, on peut
les mettre sur tes étagères."
" Non,
sur mes étagères y a mes bouteilles."
" Mais
tout en haut on peut leur faire une petite place, allez."
Là-dessus
je lui montre la photo de ma dernière Madone. Et instantanément, il
s'écrie « Ah ouais ! J'aime vachement ! »
Et
c'était parti ! Je me suis mise à peindre, à coller, à
trouer, à bidouiller avec frénésie. En 2 mois j'ai pondu 7
tableaux. Le jour du vernissage m'a été imposé par Ali. Et par le
plus grand des hasards, j'ai découvert que ça tombait le jour de la
Sainte Tania. Mais nous savons tous depuis Einstein que « le hasard
est le nom que prend Dieu quand il veut passer incognito ».
Merci la Vie !
Et
depuis Ali a sur une étagère une statuette d'Ali-Baba que j'ai
faite pour lui . Tu vois qu'il y avait de la place !
Tout au long de ce processus de création, j'ai
bidouillé sur fond de Stabat Mater.